La liberté de réunion face au maintien de l’ordre : un équilibre fragile

Dans un contexte de tensions sociales croissantes, la liberté de réunion et le maintien de l’ordre s’affrontent sur le terrain des manifestations. Entre droits fondamentaux et sécurité publique, l’équilibre est délicat à trouver.

Le cadre juridique de la liberté de réunion en France

La liberté de réunion est un droit constitutionnel en France, consacré par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Elle permet aux citoyens de se rassembler pacifiquement pour exprimer leurs opinions. Cependant, ce droit n’est pas absolu et peut être encadré par la loi.

Le régime déclaratif en vigueur impose aux organisateurs de déclarer toute manifestation sur la voie publique au moins trois jours à l’avance. Cette déclaration doit préciser l’objet, la date, l’heure et l’itinéraire de la manifestation. Les autorités peuvent alors interdire le rassemblement si elles estiment qu’il présente des risques pour l’ordre public.

La jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement précisé les contours de ce droit, en insistant sur la nécessité de justifier toute restriction par des motifs d’ordre public avérés et proportionnés.

Les enjeux du maintien de l’ordre lors des manifestations

Le maintien de l’ordre lors des manifestations relève de la responsabilité des forces de l’ordre, sous l’autorité du préfet. Leur mission est double : garantir la sécurité des manifestants et des tiers, tout en préservant l’ordre public.

La doctrine française du maintien de l’ordre repose traditionnellement sur les principes de gradation de la force et de mise à distance. Toutefois, face à l’évolution des formes de contestation, notamment avec l’émergence de groupes plus radicaux, les stratégies ont dû s’adapter.

L’utilisation d’armes de force intermédiaire comme les lanceurs de balles de défense (LBD) ou les grenades de désencerclement a fait l’objet de vives critiques, notamment de la part d’organisations de défense des droits humains. Ces dernières dénoncent des atteintes disproportionnées à l’intégrité physique des manifestants.

Les évolutions législatives récentes

Face aux débordements observés lors de certaines manifestations, le législateur a cherché à renforcer l’arsenal juridique à disposition des autorités. La loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations a ainsi introduit de nouvelles dispositions.

Parmi les mesures phares, on trouve la possibilité pour les forces de l’ordre de procéder à des fouilles préventives aux abords des manifestations, ainsi que la création d’un délit de dissimulation volontaire du visage dans certaines circonstances. Ces dispositions ont été partiellement censurées par le Conseil constitutionnel, qui a veillé à préserver un équilibre entre sécurité publique et libertés individuelles.

La loi Sécurité globale de 2021 a suscité de vives polémiques, notamment son article 24 initial visant à encadrer la diffusion d’images des forces de l’ordre. Après de nombreux débats et manifestations, cet article a été largement remanié pour tenir compte des critiques sur les atteintes potentielles à la liberté d’informer.

Les défis contemporains de la liberté de réunion

L’exercice de la liberté de réunion fait face à de nouveaux défis dans un contexte social et technologique en mutation. L’utilisation des réseaux sociaux pour organiser des rassemblements spontanés ou non déclarés pose la question de l’adaptation du cadre juridique existant.

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a conduit à des restrictions temporaires du droit de manifester, soulevant des interrogations sur la proportionnalité de ces mesures. Les juridictions administratives ont dû se prononcer à plusieurs reprises sur la légalité de ces restrictions exceptionnelles.

L’émergence de nouvelles formes de contestation, comme les occupations de lieux publics ou privés, interroge sur les limites de la liberté de réunion et les moyens légaux d’y répondre. Le cas des ZAD (Zones à Défendre) illustre la complexité de concilier liberté d’expression, droit de propriété et maintien de l’ordre.

Vers un nouveau paradigme du maintien de l’ordre ?

Face aux critiques récurrentes sur la gestion des manifestations, une réflexion s’est engagée sur l’évolution des pratiques de maintien de l’ordre. Le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) publié en septembre 2020 vise à redéfinir la doctrine française en la matière.

Parmi les orientations retenues, on note la volonté de privilégier le dialogue et la désescalade, ainsi que l’amélioration de la communication avec les manifestants et les médias. La création d’unités spécialisées dans la gestion des foules et la formation renforcée des forces de l’ordre sont d’autres axes de cette nouvelle approche.

La question de l’encadrement de l’usage de la force reste centrale. Si le principe de proportionnalité est réaffirmé, des voix s’élèvent pour demander un contrôle plus strict et transparent des interventions policières lors des manifestations.

Le débat sur l’équilibre entre liberté de réunion et maintien de l’ordre demeure vif. Entre protection des libertés fondamentales et impératifs de sécurité publique, le législateur et les autorités doivent sans cesse adapter leur approche pour répondre aux évolutions de la société et des formes de contestation.

La liberté de réunion et le maintien de l’ordre constituent un défi permanent pour l’État de droit. Trouver le juste équilibre entre ces deux impératifs nécessite un dialogue constant entre tous les acteurs de la société, pour préserver à la fois l’expression démocratique et la sécurité de tous.